La jeune femme sent sa gorge se serrer. Le reportage qu’elle vient de regarder à la télévision l’a émue. Il racontait l’histoire d’une veuve éplorée par la mort de son mari, disparu le jour de leur mariage. Sensible et romantique, cette circonstance particulière ajoute à ses yeux une tragédie supplémentaire au drame. Elle sait que cette histoire va l’inspirer pour de prochains écrits. A vingt ans, elle est déjà adepte de l’écriture depuis longtemps.

Ainsi va naître Sans toi. Les premières années, elle en écrit quelques pages, quelques chapitres, puis recommence. Sa vie à elle prend forme en parallèle. Elle tombe amoureuse, s’ancre dans la vie professionnelle. Elle voyage, elle se marie. Elle donne naissance à son premier enfant. Elle n’a plus beaucoup de temps à consacrer à Sans toi. Il n’est pas vraiment loin, pourtant. Elle sait qu’elle y reviendra.

Mais elle a tout le temps pour ça. Elle a toute la vie devant elle.

A vingt-sept ans, elle trouve le temps de replonger dans son histoire, pendant les siestes de son garçon de dix mois. Le premier drame de sa vie survient peu après, lorsque sa grand-mère maternelle meurt, emportée par la vieillesse et la maladie d’Alzheimer. Elle lui fait alors la promesse d’écrire pour elle, et de parler de la maladie. En sept mois, elle aura écrit la version intégrale de Sans toi, qu’elle s’empresse d’envoyer à quelques maisons d’édition. Les lettres de refus laissent dans leur sillage un goût amer de déception. Un retour, cependant, est encourageant. Et puis son entourage a aimé son récit. Elle sait qu’elle recommencera. Elle corrigera ce qui ne va pas. Elle ira jusqu’au bout.

Mais pas maintenant, plus tard… Elle a le temps. Elle a encore toute la vie pour devenir écrivain.

Elle change de travail, elle devient maman pour la deuxième fois. Elle n’a plus vraiment de temps à consacrer à ses rêves. Ses amies lui répètent souvent :

- Quand te remettras-tu à écrire ?

- Bientôt. Je ne sais pas encore quand, mais bientôt…

Elle se demande pourquoi elles finissent toujours par revenir sur sa passion inachevée. Après tout, elle n’a pas conquis les éditeurs, elle n’est sûrement pas faite pour ça…

Six ans après avoir écrit la version intégrale de Sans toi, elle a enfin le déclic. Une intuition soudaine lui souffle de tout recommencer. Elle ne va pas seulement retravailler son texte. Elle va réécrire toute l’histoire. Elle doit la construire différemment. Elle sent une vague d’inspiration la submerger. Ce sentiment grisant lui donne des ailes. Elle écrit le premier chapitre, mais évolue professionnellement. Elle a du mal à se concentrer et stoppe l’écriture quelques mois.

Parviendra-t-elle enfin à aller jusqu’au bout ?

Lors d’un dîner entre amis, ses copines d’enfance remettent le sujet sur le tapis. En découvrant qu’elle s’est remise à écrire, elles la sollicitent pour lire le premier chapitre. Les retours sont enthousiastes. Il n’en fallait pas plus pour encourager l’auteur en herbe. Le goût de l’écriture est revenu. Elle écrit pour ses amies. Toutes les six semaines, elle leur envoie un chapitre. Invariablement, les filles lui réclament la suite.

L’histoire de sa propre vie se répète : elle perd sa deuxième grand-mère dans les mêmes conditions que la première. Sa promesse se fait double.

Un an plus tard, Sans toi est terminé. Il ne ressemble plus beaucoup à la première version. Elle le peaufine, corrige quelques détails. Elle le relit. Elle l’aime comme ça. Il a gagné en maturité, il est enfin abouti. Elle envoie son manuscrit à plusieurs maisons d’édition, mais les réponses arrivent au fil des mois, toutes négatives. Elles lui font l’effet d’autant de claques. Elle y a mis tout son cœur, mais ce n’est pas suffisant. Dans certains retours, on lui parle de l’autoédition et de Librinova. Elle, elle voulait se faire éditer. Mais elle réalise que ses espoirs s’amenuisent à mesure qu’elle reçoit les courriers de refus. Alors elle se documente, recherche sur Internet. Librinova est un nouveau tremplin vers l’édition classique. L’espoir renaît peu à peu. Et si son rêve n’était pas totalement perdu ?

Elle décide qu’elle ne veut plus attendre. Elle en a assez de reporter son rêve à demain. Personne ne la tiendra par la main pour le réaliser. C’est maintenant, elle se sent prête. Elle pourra toujours réécrire l’histoire, mais il est temps qu’elle s’en délivre.

Elle suit tous les conseils glanés sur le site de Librinova pour finaliser son manuscrit, et appuie sur le bouton « valider », la trouille au ventre. Cela fait quinze ans qu’elle le porte. Elle s’apprête à lui offrir enfin une vie de livre.

Sans toi est devenu Six ans à t’attendre, parce que le premier titre était déjà pris.

Cette femme, c’est moi. J’ai longtemps cru que l’histoire s’arrête à l’écriture d’un livre. J’ai réalisé que l’aventure ne commence véritablement qu’après avoir fait le grand saut. Et qu’elle peut nous offrir bien plus que ce que nous avons osé imaginer.

Cette histoire que je viens de vous raconter, c’est peut-être aussi un peu la vôtre.

Alors qu’attendez-vous ?

Quinze ans à t’attendre